Le destin de Laurent Thirionet n'était pas tout tracé. Il y a 15 ans, un accident de moto mue le cycliste amateur en champion exceptionnel. Amputé de la jambe gauche, il débarque aux Jeux paralympiques de Pékin en chercheur d'or sur route et sur piste. Voici son interview pour Eurosport:
Racontez-nous votre histoire...
Laurent THIRIONET: Je viens d'une famille de cyclistes. J'en faisais, mais ce n'était pas spécialement mon truc, un peu trop exigeant pour moi. Avec mes études, le vélo est devenu secondaire. A 23 ans, j'ai été renversé à moto par un chauffard. Bilan: amputation de la jambe gauche. Après mon accident, j'ai fait plusieurs essais de sport avec ma prothèse. L'athlétisme demandait un travail trop technique alors que je préfère les sports plus durs physiquement. J'ai tenté le semi-marathon sans succès. Puis, mes anciens copains d'entraînement m'ont incité à revenir au vélo.
Quel fut votre déclic pour vous y remettre vraiment?
L.T. : J'ai suivi le cyclisme handisport lors des Jeux d'Atlanta en 1996. J'ai eu envie de faire pareil et à la fin de l'année, je m'y suis mis. J'ai disputé mes premiers championnats du monde en 1998 à Colorado Spring* et j'ai eu des résultats tout de suite.
Quels sont vos objectifs à Pékin?
L.T. : Je veux faire aussi bien qu'à Athènes**, avec des titres en plus. Je vais m'aligner sur piste et sur route. Sur piste, j'espère décrocher l'or en poursuite où je n'ai subi qu'un seul revers pour quelques centièmes en quatre ans. Je débuterai par le km départ arrêté. J'y vais pour tester la piste et la machine start, mais sans pression. C'est une discipline où il faut se faire mal et cette année, plusieurs catégories seront mélangées avec des coefficients en fonction du handicap. Je vise surtout le titre au contre-la-montre où je suis super favori. Depuis 2004, je les ai tous gagnés. Désormais, l'épreuve en ligne et le contre-la-montre sont deux épreuves séparés***. Je peux faire quelque chose sur les deux épreuves.
L'épreuve sur route est-elle la même que celle des valides?
L.T. : Le circuit est plus court (12km contre 23,7km) avec notamment une bosse de 900m à 7%. Il est fait de montées et descentes. Ce sera un circuit exigeant. La course en ligne, je n'en fais pas un objectif principal. Depuis quelques temps, dès que je suis au départ, j'ai tout le peloton sur le dos pour pas que je gagne. Il y a un petit Français qui marche bien: Stéphane Bahier. Il progresse vite et pour cette épreuve, il aura plus de chances que moi.
Vous êtes devenu une référence dans votre discipline avec également quelques records à la clé…
L.T. : Jusqu'en 2006, je détenais le record du monde du KM départ arrêté. Mais je n'ambitionne pas de le récupérer dans l'immédiat. Je l'avais obtenu sans faire de travail spécifique. En revanche, j'espère bien améliorer mon record de l'heure qui date de 1999. Pour le moment, personne ne s'y attelle. A l'époque, j'étais "neuf" dans le cyclisme handisport. Depuis, j'ai "mûri" pour m'y frotter, je me connais mieux. C'est un défi pour un coureur plus mature, un "quadra".
Qu'avez-vous ressenti en ouvrant le dernier contre-la-montre du Tour de France?
L.T. : J'ai pu le faire grâce à un ami qui travaille pour Champion, l'un des principaux sponsors du Tour. Ce fut une super expérience, mais dur sur le vélo avec le fort vent contraire et un tracé très long nécessitant beaucoup de relances. C'est difficile lorsqu'on pédale avec une seule jambe. J'avais déjà ouvert le prologue à Dunkerque en 2001, et aussi lors des quatre jours de Dunkerque ou des Trois jours de La Panne. Il m'arrive souvent d'être invité lors de critériums d'après-Tour au milieu des valides.
Cela vous permet de mettre en avant votre discipline...
L.T. : C'est vrai qu'en France, le handisport manque d'exposition. On fait beaucoup de demandes et on a très souvent la même réponse: "Trop compliqué !" Pourtant, ce sont les mêmes routes... En athlétisme ou en tennis, ils n'ont pas ce problème. Il y a toujours des épreuves handisport au milieu des valides. Sur la Vuelta et le Giro, il y a davantage de mise en avant. En France, le handicap, c'est social. La Fédération handisport a été créée dans cet esprit. Cela expliquait le niveau faible du sport handicapé au début. Depuis, une cellule haut niveau a été créé et ça va mieux. Il y a des résultats.
Pensez-vous que ça n'intéresse pas les spectateurs?
L.T. : Lors de ma participation au contre-la-montre de Saint-Amand-Montrond, j'ai été ovationné. Les gens criaient, m'encourageaient. Sur le bord de la route, ce sont des passionnés qui aiment voir des gens "se défoncer". J'ai roulé à 42km/h de moyenne et je termine à trois minutes de Thomas Voeckler. Nous aussi, on fait du sport de haut niveau et les gens apprécient les performances. C'est sûr qu'on ne peut pas montrer toutes les disciplines du handisport à la télévision. Tout n'est pas facilement supportable. Lorsqu'on arrive au village olympique, les premiers jours, ça "fout les boules" de voir certains qui portent toute leur vie sur leur visage, leur corps. Ce n'est pas facile. Mais si on montre du positif, des gens épanouis malgré leur handicap, avec des performances à la clé, on attire une certaine curiosité qui n'est pas forcément malsaine.
